[Texte 26] Tir groupé

Ok alors deux ou trois informations : il est 6h30, je tourne au jus d’orange, et j’écris en one shot en pavé soit dit sans aucune relecture ni vraiment de construction de pensées Seulement il fallait que je livre ça sur papier ou, à défaut, sur un clavier. De plus, ce texte n’a aucune prétention de donner une leçon de vie à qui que ce soit, ni se permettre de juger la douleur et la vie de chacun 🙂

J’adore Alice au Pays des Merveilles, sous toutes ses formes. J’adore aussi construire des choses, les planifier dans ma tête et imaginer leur évolution.

C’est peut-être l’ensemble de ses deux amours qui ont créé une de mes plus grandes phobies : la chute. Combien de fois je me suis réveillée, ou me réveille encore, en hurlant, car je me vois chuter, inlassablement, dans un trou aux parois si lisses que je ne peux que descendre, encore et encore, vers une destination inconnue ? Les proches qui étaient alors près de moi me rassuraient du mieux qu’ils pouvaient, en me disant que j’étais en sécurité, qu’un tel trou n’existait pas, que j’étais dans un lit confortable bref, que je n’étais pas actrice dans cette chute interminable. Pourtant, cette chute, cette putain de tombée infernale, a eu lieu. A toujours lieu. Et j’ai fini par comprendre, au fil des jours et des mois qui passent, que le dicton « Ça ne tombera pas plus bas » est un incroyable mensonge. Ça tombe toujours. C’est seulement, qu’à force d’être en chute libre, la descente ne se fait plus ressentir. Les parois lisses et argileuses ne semblent plus nous étouffer comme auparavant, elles glissent seulement sur notre peau.

Pour arriver à ce stade, il faut d’abord avoir bâti tout un mini empire de joie, de tendresse, d’optimisme et de confiance en soi et son avenir. Se croire intouchable en quelque sorte, ou presque. Et surtout bâtir ce manoir sur des marécages, sans s’en rendre compte. Puis commencer à perdre le premier étage. S’accrocher au deuxième. Le précipiter dans sa chute, le troisième va suivre aussi car tant qu’on y est, autant se rajouter. Les trois suivants ? Mettez-les aussi, de façon à se retrouver devant un champ de ruines. C’est exactement ça. Un champ de ruines. Pendant 5 mois, avoir un mal-être si profond qu’il en affecte notre corps et désintègre des relations « pures » sans pouvoir agir réellement, et un beau matin, se réveiller en sachant ce qu’on est désormais, en pouvant enfin mettre des mots sur ce malaise permanent. Vous en voulez la description ? Elle est simple.

Prenez une petite sphère en cristal. Jouez doucement, tranquillement, tendrement avec. Puis éclatez-là le plus violemment possible à l’autre bout de la pièce. Contemplez les débris. C’est la première étape. C’était mon coeur. Vous faites la même opération avec une autre sphère, en y ajoutant un peu de sauce salsa maison, un mélange de sel, de piquant, et de lames, et en l’appliquant sur une quelconque blessure mal cicatrisée. Ça, c’était mon corps. Ensuite, rassemblez tout ce qui vous tombe sur la main, secouez bien fort dans un shaker et servez le tout dans un contenant empoisonné. Ça y est, vous pouvez déguster la classique « Blessure de l’Ame », avec le supplément offert, « Champ de Ruines » .

CRNB

C’est aussi simple que ça. On se réveille un matin avec cette dans la tête, en se disant « Mais oui ! Oui c’est exactement ça ! Je suis brisée, mais pas seulement, je suis à terre. Il ne reste rien de moi. Je ne suis que débris, pleurs et souffrances. ». On est un instant soulagée de pouvoir mettre des mots sur le bordel qu’on ressentait jusqu’alors, puis vite rattrapée sur le moyen de nous reconstruire après ça. Oui, je dis encore « nous reconstruire », parce qu’à ce moment-là, l’espoir du passé/présent/futur, la possibilité joviale de « s’en sortir » étaient encore bien ancrés dans la chair de petite fille. Tu penses que la chute s’est arrêtée, qu’il est temps de remonter.

Ensuite viennent les nuits de torture, de douleur pure. Ton autre phobie se manifeste, celle où tu t’imagines dans une pièce sombre, sans aucun mobilier ni repère au mur, si ce n’est ces rires derrière cette porte. Cette pièce où tu es enfermée, où tu hurles, où tu pleures. Cette pièce qui, malgré ses nombreuses différences, s’est trouvée être réelle. Oh, tu ne devais pas être bien belle à voir, nue sur le sol, te tenant les cuisses ou le ventre ou bien la poitrine, ne sachant pas si tu allais être capable de survivre à cette nouvelle nuit de souffrance brute. Ton cœur transpercé par des poignards acérés puis tes entrailles laminées…. tu aurais pris n’importe quelle main tendue, n’importe quel remède miracle, tu aurais voulu t’arracher le coeur, si cela avait pu s’arrêter. Tu n’en pouvais plus. Tu te haïssais de ne pas pouvoir jeter l’éponge, de pas pouvoir vivre sans ce cruel fardeau. Ce lambeau de force qui te maintenait chancelante mais debout, tu voulais le rendre, à n’importe qui, mais pas toi. Tu voulais tomber dans la boue de la misère, la boue de celles qui ont rendu les armes mais qui sont désormais indolores… Tu suppliais tes amis de t’aider, mais hormis leurs phrases dénudées d’espoir ou leur propre mal de ne pas pouvoir t’aider malgré ton état, ils ne pouvaient rien. Personne ne le pouvait à vrai dire. Tu as bien pensé à renoncer définitivement, mais tu voulais vivre, juste sans la torture. C’était donc impossible de concilier les deux ?

Finalement, petits bouts par petits bouts, surtout grâce à des moments dans des lieux aspirant à la sécurité, des proches si bons, et un sentiment de presque sérénité, tu y as réfléchi. Tu as pensé. Tu as fait face à tes problèmes, tes envies, et tes idéaux. Puis tu as compris.

Tu as enfin compris. Après des bavures tout au long de ta courte vie, après ces longs mois de douleur, tu as enfin vu la vie comme il se doit : sans fard, sans espoir, bref aussi brut que les parois sans accros dont tu as encore peur aujourd’hui. Tu as compris que lorsqu’on tombe, on continue à jamais de tomber. La preuve en est, combien de merdes -et des belles- te sont tombées dessus depuis le matin du Champ de Ruines ? Un paquet. Pourtant, tu te sens mieux, toujours fragile (y a qu’à voir tes médocs pour le sommeil et tes gouttes pour tes crises), mais tu sais que tu as appris. Tu as appris, et tu apprends. Tu apprends à tomber, mais surtout tu apprends à vivre avec de réels sourires tout en tombant.

Et je crois que c’est ce que voulait dire ton grand-père après cette chute à vélo ridicule, qui t’avait envoyé dans les roses, et qui t’avait fait croire qu’il était déjà sénile.

Je suis fier de toi, tu es bien tombée.